Des comportements paralysants face à une technologie redoutée
Je commence ma carrière en 1981 dans la filiale française de l’Eastman Kodak.

Par Dominique Jacquet
Je commence ma carrière en 1981 dans la filiale française de l’Eastman Kodak.
Cette même année, Akio Morita, emblématique co-fondateur et patron de Sony, présente le Mavica en expliquant (avec le sourire) que cette révolution électronique allait tout simplement sortir Kodak du jeu, ce qui, malheureusement, advint.
Chacun sait que le premier appareil de photo numérique était sorti des laboratoires de R&D de Kodak, mais la firme avait senti le danger et bien compris que la vache à lait du développement-tirage risquait de disparaître, donc elle avait enterré la technologie.
Tout ceci a été largement documenté et n’est pas l’objet de ce blogue.
Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’ai observé en interne à l’annonce du Mavica. Pour faire simple, les réactions se divisaient en :
- « Il a raison, nous sommes perdus »
- « La qualité de l’image électronique n’atteindra jamais le niveau de perfection artistique de l’image chimique ».
Donc, désespoir ou déni.
Ces deux réactions ont en commun qu’elles ne conduisent pas à la réflexion rationnelle et à l’action. Il est vrai qu’à l’époque, l’image électronique n’offrait qu’une qualité artistique médiocre, mais présentait un potentiel considérable, ce qui laissait du temps pour réflexion et réaction.
Certes, « comparaison n’est pas raison », mais la confrontation avec les propos tenus actuellement sur l’IA est troublante. Des commentaires peu nuancés et définitifs permettent à leurs auteurs de s’afficher sur les plateaux de télévision et d’influencer sur les réseaux sociaux.
Certains prédisent que l’Homme, c’est fini, nous allons être remplacés par des machines intelligentes et diaboliques (un grand merci à Stanley Kubrick !), d’autres considèrent que l’IA, ce n’est qu’un moteur de recherche un peu plus sophistiqué et qui ne peut en aucun cas se substituer au génie créatif humain.
Il y a probablement un peu de vérité dans ces deux positions diamétralement opposées, mais bien malin qui peut prédire où nous allons atterrir.
Si nous ne connaissons pas la destination, je suggère de nous mettre en route, non pas avec un GPS bien calibré, mais en découvrant progressivement ce que cette révolution technologique peut révéler de risques et d’opportunités. Philippe Aghion vient d’obtenir le Nobel d’économie pour ses travaux sur la destruction créatrice, la période est bien choisie. Mais, pour savoir ce qui sera créé par la destruction, il ne faut pas s’arrêter, tétanisés par l’incertitude, il faut avancer, découvrir (le CTO de Hubspot disait que l’IA, c’était une loi de Moore, mais avec un doublement tous les 6 mois, pas tous les 18 mois), essayer, se tromper, recommencer, etc.
Un commentaire m’a semblé plus sage que beaucoup d’autres. Jensen Huang, fondateur du bien connu Nvidia, explique que ce n’est pas l’IA qui remplacera le collaborateur dans l’entreprise, c’est l’autre collaborateur qui saura comment utiliser l’IA.
Alors, avançons dans le brouillard, découvrons, progressons, nous verrons bien à quoi ressemble la destination.
La seule certitude, c’est que ceux qui ne sont pas partis auront bien du mal à arriver.